Quand le café rimait avec poésie. Jacques Delille
Le café est un art. L’art est inspiré par le café. (Nous n’irons pas jusqu’à dire que l’art est un café mais la ressemblance est frappante : tous deux provoquent cette même ivresse entêtante d’entrer dans un monde destiné à nous seuls).
Que de traits de génie sont venus de celui-ci ! Et les maîtres lui ont rendu un juste hommage… Commençons par Jacques Delille (1738-1813), poète français, élu à l’Académie et maître de chaire au Collège de France qui fut un maître dans l’art de la versification et la poésie descriptive.
Il rend une ode vibrante et très juste du divin breuvage lui rendant hommage de la plus belle des façons. Etudions d’un peu plus près ce magnifique texte :
On ne compte plus les adjectifs mélioratifs : « divin, aimable, précieux, délicieux … », les verbes glorifiants : « épanouit, charmé, inspire, réveille ». Les sens sont bien représentés : le goût : « je goûte ton breuvage » « nectar », l’odeur « parfum » « vapeur odorante »…, la vue : « légers tourbillons » « l’or de ta couleur »…, l’ouïe même : « crier ton fruit amer », le toucher « chaleur pénétrante » « réchaud brûlant ». Les sous entendus sont criants : si Virgile l’eut connu, que n’eut il produit de plus beau encore ! Voltaire devait sa créativité à celui ci (ce qui nous amènera à faire un article prochainement sur les grands hommes buveurs de café)…Allez je vous laisse savourez par vous même, car c’est en décortiquant trop qu’on retire tout le charme !
Il est une liqueur, au poëte plus chère,
Qui manquait à Virgile, et qu’adorait Voltaire
C’est toi, divin café, dont l’aimable liqueur
Sans altérer la tête épanouit le coeur.
Aussi, quand mon palais est émoussé par l’âge,
Avec plaisir encor je goûte ton breuvage.
Que j’aime à préparer ton nectar précieux !
Nul n’usurpe chez moi ce soin délicieux.
Sur le réchaud brûlant moi seul tournant ta graine,
A l’or de ta couleur fais succéder l’ébène
Moi seul contre la noix, qu’arment ses dents de fer,
Je fais, en le broyant, crier ton fruit amer,
Charmé de ton parfum, c’est moi seul qui dans l’onde
Infuse à mon foyer ta poussière féconde
Qui, tour à tour calmant, excitant tes bouillons,
Suis d’un oeil attentif tes légers tourbillons.
Enfin, de ta liqueur lentement reposée,
Dans le vase fumant la lie est déposée
Ma coupe, ton nectar, le miel américain,
Que du suc des roseaux exprima l’Africain,
Tout est prêt : du Japon l’émail reçoit tes ondes,
Et seul tu réunis les tributs des deux mondes.
Viens donc, divin nectar, viens donc, inspire-moi.
Je ne veux qu’un désert, mon Antigone et toi.
A peine j’ai senti ta vapeur odorante,
Soudain de ton climat la chaleur pénétrante
Réveille tous mes sens sans trouble, sans chaos,
Mes pensers plus nombreux accourent à grands flots.
Mon idée était triste, aride, dépouillée
Elle rit, elle sort richement habillée,
Et je crois, du génie éprouvant le réveil,
Boire dans chaque goutte un rayon du soleil.